Chronique d’une année scolaire : comme une sensation d’effondrement

Septembre s’est achevé. La rentrée s’est bien passée comme chaque année. Alors pourquoi ai-je chaque jour la sensation que tout s’effondre ? Description d’un quotidien qui va à sa perte.

Notre cher ministre le répète à tout va. L’école et ses acteurs ont toute sa confiance. L’école fera tout pour combattre les inégalités. L’État fera tout pour nous protéger et nous amener à être encore meilleurs.

Je sais que je n’ai pas le droit de parler. Je sais qu’il vaudrait mieux que je me taise. Pour éviter les ennuis, les remontrances, les blâmes, les convocations, le rappel à la Loi. Celle de la Confiance qui dit :

La qualité du service public de l’éducation dépend de la cohésion de la communauté éducative autour de la transmission de connaissances et de valeurs partagées. Cela signifie, pour les personnels, une exemplarité dans l’exercice de leur fonction.

Je fais le choix réfléchi et conscient de ne plus être exemplaire. Je fais le choix d’écrire la réalité. Une école qui croule sous les élèves. Une école qui accueille des élèves handicapés sans aide humaine. Une école qui travaille 4 jours et demi ou 4 jours, le samedi, ou le mercredi. Une école sans remplaçants. Une école sans Réseau d’aide aux élèves en difficulté. Une école sans aide aux élèves non francophones. Une école sans dispositif de réussite éducative. Une école où les rats circulent, où les toilettes se bouchent, où les chauffages sont en panne, où les fenêtres ne ferment plus, où l’eau s’infiltre dans les faux-plafonds. Une école où on ne recycle plus le papier faute de marché public pour le gérer, où l’on jette les plats non touchés à la cantine. Une école qui évalue, qui calcule, qui déchiffre, qui ploie sous les contraintes administratives. Une école qui remplit des formulaires en ligne. Une école qui compte les heures de ses employé-es. Une école qui propose des formations obligatoires sur les apprentissages fondamentaux (lire, écrire, compter, obéir). Une école qui propose des activités clés en main offertes par les plus grandes entreprises mondiales. Une école qui n’a plus de gymnase. Plus de piscine. Plus de bibliothèque. Plus de projets. Une école qui a un drapeau dans chaque classe. Une école qui formate. Une école qui laisse des élèves sur le carreau. Une école qui numérise les données. Une école qui évalue au lieu d’enseigner. Une école parmi tant d’autres en France.

Tenter de faire croire que l’État fait tout pour assurer les meilleures conditions pour tous est un leurre. Par contre, que je fasse tout pour que les familles ne perçoivent pas la difficulté de la tâche éducative, ça oui, je m’y engage quotidiennement.

Que l’on m’oblige ce lundi 30 septembre à prendre part à une minute de silence en hommage à un président décédé, me plonge dans une sombre colère. Pour plein de bonnes et de mauvaises raisons : parce que faire taire une armada de mômes n’est jamais simple, encore moins pour une raison qui n’a aucun sens pour eux. Parce que cet homme mort n’efface pas Christine Renon, directrice d’école qui s’est donnée la mort dans son école après avoir pris le temps de donner les raisons de son geste. Ma collègue, n’aura droit à rien, aucun hommage républicain, aucune minute de silence. Je sais pourtant, que ce lundi 30 septembre à 15h, dans son école, et dans les écoles voisines, les enseignant-es, les employé-es, les élèves se tairont. Et resteront silencieux comme ils le sont depuis une semaine : sidérés, furieux, écrasés aussi.

Comme moi, en cette fin du premier mois de l’année scolaire : furieuse, abasourdie, empêchée, impuissante, mais déterminée. À dire. À dénoncer. À prendre le risque de ne plus jamais être exemplaire aux yeux des chefs. Mais tenter au moins de l’être à mes yeux.

Deca